
Image : plateau New Word TV (Togo) / Source : Actu Togo
La pandémie de Coronavirus a un impact considérable sur les économies et la vie des gens. Dans ce contexte de grandes difficultés, l’information, les médias, tiennent une place majeure.
Informer, informer, et encore informer, pour faire de chacune et chacun un acteur de la prévention… Dans quelles conditions les médias francophones assurent-ils leur rôle ?
A partir d’un questionnaire envoyé aux Présidents de sections du réseau UPF, nous avons voulu établir son bilan de santé du moment. Quelle image en ressort ?
Etat des médias.
Notons d’abord une différence importante entre médias écrits et audiovisuels. Si radios et télévisions sont très suivis, ce qui renforce une tendance déjà existante, il faut noter d’emblée une croissance forte de l’information sur Internet. En la nuançant aussitôt : c’est surtout dans les villes que le Web constitue un recours, car nombreuses sont les régions (notamment en Afrique) où les infrastructures ne permettent pas encore un accès facile aux réseaux (+ problèmes de débits et coupures de courant). Et nombreuses sont les familles qui ne possèdent pas l’équipement ad hoc.
Les médias d’information en continu, là où ils existent, tiennent également le haut du pavé. Mais gardons-nous d’une information trop répétée et trop convenue, qui finit par lasser faute d’innovation et de travail original. L’audience de la radio, traditionnellement très forte, se renforce encore, et c’est vrai non seulement dans les pays du Sud, mais aussi en Europe.
La presse écrite
La presse écrite est partout celle qui souffre le plus, et de loin. Certains titres sont menacés de disparition, et cette menace repose sur deux éléments principaux : la diminution drastique (voire dans certains cas la disparition totale) des ressources publicitaires habituelles, et les difficultés considérables de diffusion dans un contexte de confinement et de fermeture de nombreux points de vente. Si dans la plupart des cas les quotidiens se sont retranchés sur le Web, les ressources n’en ont pas moins littéralement fondu.
La diminution des recettes publicitaires est générale, mais la baisse de la diffusion prévaut dans les pays où le confinement de la population, et ses difficultés économiques, restreint ses possibilités d’achats.
Et dans certains cas, comme au Sénégal, la diminution des ressources publicitaires se double d’une augmentation des frais, certains quotidiens réalisant des éditions spéciales pour « coller » le plus près possible à l’actualité.
La menace directe de faillite commence à apparaître, touchant d’abord la presse écrite, mais aussi certaines petites radios, comme en Grèce.
Face à cette très grave crise, la presse écrite tente très souvent de répondre en diminuant de façon importante la pagination (paradoxe au moment où l’information tient une place centrale dans la gestion de la crise !), voire en supprimant ses éditions papier, et en développant ses sites Web. Ainsi à Madagascar, où le confinement est partiel, une étude sur quotidiens et hebdos montre que sur 19 titres, trois seulement continuent à paraître. Les autres ont cessé leur parution et envisagent une reprise le plus souvent « suivant évolution de la conjoncture ». S’ajoutent parfois, comme aux Comores, des problèmes supplémentaires reposant sur les difficultés de l’imprimeur « pour se procurer les plaques nécessaires du fait de la fermeture des frontières ».
Autre exemple : au Maroc, c’est « à la demande du gouvernement » que la presse écrite n’imprime plus, et s’est rabattue sur Internet. Mais « La publicité n’est malheureusement pas au rendez-vous ». Cette demande venant des Etats est également mentionnée au Bénin, où c’est le Conseil National de la Presse qui a invité à « surseoir à la distribution des journaux papier », ainsi qu’en Tunisie où « la Fédération tunisienne des Directeurs des Journaux (FTDJ) a ordonné la suspension de la presse papier afin de protéger les travailleurs dans les imprimeries ».
Il arrive aussi que la distribution soit empêchée par les distributeurs, comme en Moldavie, où « le principal distributeur de journaux et magazines du pays a annoncé qu'il suspendait son activité afin de ne pas mettre en danger la vie de ses salariés ». Dans d’autres pays (Albanie par ex.), « la presse écrite quotidienne est paralysée (…) mais aussi les revues périodiques qui ne continuent que dans leur version en ligne ».
En France même, de nombreux quotidiens sont lourdement impactés, comme Libération et L’Humanité en particulier. Il en est de même en Suisse, où « de lourds nuages pointent à l’horizon, pour l’après coronavirus, et on craint des disparitions de titres régionaux plus fragiles ainsi que des restructurations ».
Cet impact est d’autant plus grand qu’afin de réduire les frais, il est fréquent de voir les équipes de journalistes réduites, les pigistes étant souvent les premières victimes. Face à ces situations, nombreuses sont les organisations de médias et de journalistes qui demandent des aides des Etats, ou simplement le versement rapide des aides prévues comme en Guinée.
Accès à l’information
Pour tous les médias se pose aussi la question de l’accès à l’information.
Dans certains cas, des difficultés de déplacement gênent ou empêchent l’accès à l’information, comme au Congo où « les journalistes utilisent les transports en commun, interdits pendant cette période. La situation n’est pas meilleure dans les départements où les correspondants de presse se déplacent souvent à leurs frais quand ils ne sont pas à la charge des sources ». Mais ce n’est pas seulement pour des raisons matérielles que cet accès est gêné. |
En Moldavie, où « pour certaines institutions médiatiques indépendantes, l'accès à l'information est plus difficile, surtout lorsqu'il s'agit de découvrir des faits qui ne conviennent pas au gouvernement. Le pouvoir a un comportement qui décourage les médecins de parler de la situation réelle : ils ont peur de parler et évitent la presse ».
Si certaines sections ne constatent pas de problème particulier, cette situation est plus ou moins latente pour d’autres pays, comme Madagascar, où les médias audiovisuels sont « réquisitionnés par les autorités publiques et sont obligés de diffuser en direct et simultanément avec les chaînes publiques les émissions spéciales diffusées quotidiennement à partir du Centre de commandement opérationnel de lutte contre le Covid-19, ainsi que les interventions présidentielles où se mêlent discours politiques de propagande et messages de sensibilisation et de mobilisation ». Cette obligation va loin, puisque certaines chaînes qui ont choisi de diffuser de simples extraits des discours officiels ont été mises en demeure de rectifier.
On le sait, en temps de crise, ce sont souvent l’accès à l’information et les libertés individuelles qui pâtissent. Pour les citoyens, mais aussi pour les médias. Réagir dés aujourd’hui est important pour l’avenir.
Les atteintes à la liberté de la presse sont également très fortes en Hongrie, où « l’association de la presse hongroise a pris position contre la nouvelle loi relative au coronavirus qui renforce la censure et pousse les journalistes vers l’autocensure ( …) Un article de cette loi prévoit des peines jusqu’à 5 ans de prison sous prétexte de diffusion de fausses informations concernant l’épidémie. Cette formule permettra de juger des journalistes qui font de l’investigation et aident à démontrer les défaillances du système de santé ».
En Arménie où l’état d’urgence a été déclaré, « toutes les publications sur l'épidémie doivent provenir de sources officielles et doivent être approuvées par des fonctionnaires. » Notons qu’en Tunisie, « un groupe de députés a soumis une initiative auprès du parlement dans le but de durcir les dispositions de lois pour sanctionner ceux qui publient les fake news. Mais cette initiative a fait face à une grande opposition de la part de la société civile, qui y a vu des limitations à la liberté de la critique. L’initiative a été retirée. »
L’accès à l’information est un problème répandu. Les difficultés reposent souvent sur l’impossibilité ou la grande difficulté pour les journalistes de se rendre sur le terrain et parfois parce que les lieux d’accueil des malades leur sont fermés. « Le principal problème est l’accès à l’information, comme d’habitude au Mali ». Cette situation de portes fermées est vraie aussi dans d’autres pays.
Enfin, la question des « infox » ou « fake news » entraine une vigilance renforcée de la part de nombreux médias. Dans certains cas, la vérification des informations est facilitée par l’accès à des plateformes ad hoc (Monténégro), ou par une attention particulière apportée par les journalistes « les plus expérimentés » (Maurice).
Situation des journalistes
Ils sont très exposés ! Non seulement pour des raisons économiques, mais aussi parce que ce sont des « empêcheurs de mentir en rond ». N’oublions jamais que notre rôle est d’informer, d’informer toujours, même quand l’information en dérange certains. Et puis ils sont exposés aussi en terme de risque contagieux, même si ce n’est pas comparable avec les personnels de santé.
Nous l’avons dit plus haut : des risques avérés et importants pèsent sur l’emploi des journalistes, et d’abord sur les plus précaires, les pigistes. D’autres ne sont pas rémunérés compte tenu des difficultés, de nombreux médias ayant « réduit la voilure ».
Un autre type de problèmes tient aux permis de circuler. Si les restrictions excluent en général les journalistes des interdictions, il arrive que certains « policiers véreux » (Mali) fassent semblant de ne pas reconnaître les laisser-passer attribués, ou bien fassent preuve « d’excès de zèle » (Madagascar) Dans d’autres cas, il est nécessaire d’avoir une « autorisation spéciale pour circuler entre les Régions et pendant la période du couvre-feu » (Mauritanie). Au Bénin, « les journalistes n’ont pas encore de dérogation pour sortir ou entrer dans le cordon sanitaire. Mais une porte reste ouverte au niveau des préfets qui donnent cette dérogation ».
Toutefois, le plus souvent, les journalistes peuvent circuler en possession de leur carte de presse et de leur attestation d’employeur, le problème de transport restant souvent posé.
Très souvent, on n’a gardé au sein du média qu’un faible nombre d’effectifs, les autres étant invités à « télétravailler » à partir de chez eux. Cette solution permet à l’évidence d’éviter des risques inutiles et d’accéder aux informations rapidement. Mais elle n’est pas aussi riche qu’un déplacement sur le terrain, qui permettrait de rendre compte de façon plus précise d’une ambiance, et donnerait plus de place à la spontanéité dans les dialogues avec les gens.
La question des protections contre le virus est posée de façon inégale. Si dans de nombreux cas les employeurs mettent en place des moyens pour se laver les mains (gel hydro alcoolique ou savonnage), les masques (appelés parfois « cache-nez ») ne sont pas toujours fournis, chacun devant alors se débrouiller. Soulignons aussi que parfois ces mesures restent à la charge des journalistes, et « le Syndicat national des journalistes exhorte les responsables des médias à fournir des équipements de protection individuelle aux reporters. Aucune suite » (Comores).
« Nous sommes en guerre », disent certains dirigeants. Les guerres et l’information ne sont pas toujours compatibles. Mais avec calme et prudence, résolution et abnégation, nous devons toujours tenter de trouver les réponses aux questions qui dérangent. C’est l’intérêt des citoyennes et des citoyens, et c’est l’intérêt des dirigeants eux-mêmes.
Jean Kouchner |
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